Entretien

Quand la création rencontre la recherche : Nitouche Anthousi explore les espaces confinés entre réel et virtuel

Après avoir étudié à l’École des Beaux-Arts de l’Université d’Ioannina (Grèce), puis à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Nitouche Anthousi poursuit son parcours en contrat doctoral à l’École doctorale Arts plastiques, Esthétique et Sciences de l’Art (APESA) et l’institut ACTE depuis 2022. Ses travaux de création-recherche portent sur l'appropriation de l'espace dans les asiles, les hôpitaux psychiatriques, les prisons et le monde du métavers, d'un point de vue artistique, philosophique et anthropologique. Elle s’appuie sur la comparaison entre Ellis Island et l’île de Leros. 

Pouvez-vous nous présenter votre parcours universitaire ?

Nitouche Anthousi : Mon itinéraire débute à l’École des Beaux-Arts de l’Université d’Ioannina, en Grèce (2014-2019). En 2018, un programme Erasmus à l’Université Paris VIII m’a révélé le dynamisme artistique de cosmopolite Paris. En 2019, j’ai effectué un stage à la Radio nationale de Grèce (ERT) et après ma licence, je rejoins Paris comme première stagiaire Erasmus mondiale au Centre Pompidou, en tant que photographe dans la collection principale auprès du photographe Philippe Migeat. En 2021, j’ai intégré directement la deuxième année du Master « Recherche en Arts Plastiques et Création Contemporaine » à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction du professeur Jean-Marie Dallet. Durant ce master, j’ai également travaillé comme tutrice d’accompagnement à l’École des Arts de la Sorbonne (EAS) sous la direction de Yann Toma. Depuis 2022, en tant que bénéficiaire d’un contrat doctoral, je poursuis mes recherches sous la supervision de Jean-Marie Dallet. 

Sur quoi portent vos travaux de recherche ?

Nitouche Anthousi : Ma création-recherche est intitulée « Espèces d’hétérotopie ». Elle examine l’appropriation de l’espace en situation de confinement, qu’il s’agisse des asiles, des prisons, des camps de réfugiés ou du métavers, sous les prismes de l’art et de l’expression artistique.  Elle s’articule autour d’une étude comparative entre deux lieux emblématiques : Ellis Island, ancien lieu transitoire pour les immigrants aux États-Unis, et l’île de Leros, en Grèce, qui est marquée par l’architecture rationaliste des édifices mussoliniens. L’île a connu diverses réappropriations au XXᵉ siècle : clinique psychiatrique ayant attiré Félix Guattari, puis camp de réfugiés en 2015.  Ces lieux physiques résonnent avec le métavers, analysé comme une forme d’auto-confinement contemporain, où chacun construit son « hétérotopie » via un avatar. Ce parallèle est réalisé pour la première fois dans une thèse de recherche et il révèle une dialectique entre présence et absence, où les traces humaines incarnent une tension ontologique. Mes travaux se nourrissent d’une méthodologie interdisciplinaire mêlant philosophie, anthropologie et sociologie visuelle. 

Vous avez effectué 4 mois d’échange à New-York dans le cadre du programme Alliance Columbia University. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce programme ?

Nitouche Anthousi : Plusieurs motivations m’ont conduite à choisir ce programme. Il m’offrait l’opportunité de faire ma recherche sur Ellis Island tout en étudiant dans une université américaine emblématique. Vivre à New York, métropole mythique célébrée par le cinéma et reconnue pour ses musées et collections prestigieuses, représentait un rêve accompli. Cette expérience a pris une dimension plus significative grâce à Madame Neni Panourgia, professeure éminente affiliée au département de psychologie de Columbia. Auteure d’ouvrages sur l’île de Leros, un pivot de ma recherche, elle m’a intégrée non seulement à ce département, mais également à l’initiative « Justice in Education ». Cette immersion interdisciplinaire m’a ouvert des perspectives inédites, mêlant dialogues avec théoriciens, professeurs et anciens détenus devenus étudiants. Cette synergie intellectuelle, ancrée dans la paideia de Columbia, a durablement enrichi ma trajectoire académique.

En quoi cette expérience a-t-elle enrichi vos perspectives sur votre sujet de recherche ? 

Nitouche Anthousi : Cette expérience a marqué un tournant décisif dans mes perspectives de recherche. Me rendre sur les sites étudiés était essentiel : j’ai consacré trois mois aux archives d’Ellis Island, avec des visites hebdomadaires de huit à neuf heures. Cette immersion a révélé des informations précieuses sur la genèse du musée, les restaurations et les témoignages des individus ayant transité par ce lieu mythique. L’encadrement de la directrice de la recherche et le soutien du directeur du programme « Alliance Doctoral Mobility Program », Monsieur Emmanuel Kattan, ont été déterminants, avec un suivi personnalisé qui a orienté mes démarches selon les spécificités de mon sujet. Cette expérience a également nourri mon travail de création artistique autour des thématiques insulaires. Mes œuvres ont été exposées dans le cadre de « Greece in USA », organisé par Dr Sozita Goudouna à The Opening Gallery, à Tribeca. Cet événement a enrichi l’interconnexion entre mes recherches théoriques et pratiques face à un public international.  

Vernissage exposition Espèces d'hétérotopie : D'Ellis Island à l'île de Leros, The opening gallery, New-York, 01/06/2024

Vernissage exposition Espèces d'hétérotopie : D'Ellis Island à l'île de Leros, Musée des combattants, Athènes, 03/09/2024 ©Dimitrios Lempesis

Votre thèse associe la recherche et la création. Comment articulez-vous ces deux démarches, artistique et scientifique ? 

Nitouche Anthousi : L’articulation entre création et recherche est, à mon avis, fondamentale, comme j’ai pu le découvrir à l’EAS. Mon approche s’appuie sur une méthode croisée : la recherche guide la création, qui peut à son tour réorienter mes réflexions. Les récits issus des entretiens menés dans ma thèse nourrissent ma réflexion et inspirent mes œuvres. Un exemple marquant est l’utilisation de la photogrammétrie sur Ellis Island et l’île de Leros pour scanner des lieux inaccessibles et créer une navigation en réalité virtuelle. Ce procédé propose une exploration synthétique des lieux, conjuguant art et préservation patrimoniale. Dans ce cadre, la création artistique devient un outil scientifique. Par un parallélisme avec le métavers, j’explore comment cet univers virtuel, reflet d’une micro-société, constitue une mise en abîme de notre société contemporaine. Par ailleurs, cette démarche offre une sorte de musée virtuel ouvert, conservant des sites inaccessibles tout en réinventant leur exploration.  

La prochaine étape de votre projet est une exposition à partir du 17 janvier qui durera un mois. Pouvez-vous nous parler un peu plus de cette exposition, quelle place aura-t-elle dans votre projet de recherche ?

Merci d’évoquer cette exposition intitulée Espèce d’hétérotopie : D’Ellis Island à l’île de Leros. Elle débutera le 17 janvier 2025 à la Fondation Hellénique, institution historique de la Cité Universitaire, qui a accueilli des figures comme C. Castoriadis ou Costa-Gavras. Placée sous l’égide de Maria Gravari-Barbas, professeure à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et en dialogue avec une journée d’étude internationale et multidisciplinaire intitulée Enfermements : Architecture, Patrimoine, Art, soutenue par l’Institut ACTE, elle occupe une place centrale dans ma thèse.  

Cette exposition présente les résultats visuels de ma recherche et leur adaptation selon les lieux. Dévoilée à New York en juin 2024, puis enrichie à Athènes en septembre dans un musée historique, elle a attiré une large audience : universitaires, artistes, et individus liés à Ellis Island ou Leros. Ces interactions ont validé mes hypothèses tout en nourrissant ma réflexion, consolidant le lien entre recherche et création artistique.  

Vernissage Espèces d'hétérotopie : D'Ellis Island à l'île de Leros, Fondation Hellénique, Paris 27/01/2025. De gauche à droite : Nitouche Anthousi, Maria Gravari-Barbas directrice de la Fondation Hellénique et professeure des universités à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Yann Toma professeur des universités à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Jean-Marie Dallet professeur des universités à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur de la thèse « Espèces d’hétérotopie ».

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un doctorant ou une doctorante qui souhaiterait bénéficier d’une bourse de mobilité doctorale ?

Nitouche Anthousi : Mon conseil principal serait de saisir toutes les opportunités offertes par l’université et les différents programmes de mobilité, car elles constituent une expérience unique et précieuse pour enrichir leur parcours doctoral. Partir à l’étranger permet d’explorer de nouveaux horizons, de découvrir d’autres pratiques de recherche et de s’imprégner de cultures académiques différentes. Cela ouvre des perspectives qui peuvent approfondir et diversifier leur travail de thèse.  Le doctorat est souvent un chemin solitaire, mais il est essentiel d’en sortir pour se confronter à de nouveaux stimuli intellectuels et humains, issus du monde entier.  Enfin, il est important de se rappeler que les doctorants et doctorantes peuvent toujours compter sur le soutien des représentantes des doctorant·e·s, nous sommes là pour les accompagner et les guider dans ces démarches.

À propos de la thèse de Nitous Anthousi : Intitulé de la thèse “Espèces d’hétérotopie”. Laboratoire de rattachement : Institut ACTE. École doctorale de rattachement : École doctorale arts plastiques, esthétique et sciences de l'art. Directeur de thèse : Jean-Marie Dallet, professeur des universités en arts à l'École des Arts de la Sorbonne

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